Les 100 ans des trois ans !

Il y a tout juste un siècle était adoptée une loi d’une extrême importance, dite des « trois ans ». On connait le contexte et les débats enflammés qui accompagnent l’adoption de ce texte. Raymond Poincaré et Georges Clemenceau alliés en faveur de la loi contre Jean Jaurès, l’internationaliste pacifiste qui compte sur le mouvement ouvrier pour empêcher une nouvelle guerre. Car il s’agit bien d’une partie de billard à trois bandes, Berlin étant en réalité dans tous les esprits tant la tension internationale est importante. Cette loi cherche en effet à porter à trois ans le service militaire en réponse à la menace allemande, que l’on sent de plus en plus pressante à partir de la crise d’Agadir en 1911. Espion français arrêté en Allemagne, Charles Lux raconte bien dans ses carnets combien cet événement dégrade les relations entre Paris et Berlin.

Scène de la vie militaire. Carte postale pubilicitaire des cholocats Carpentier. Collection privée.

Bien évidemment, une telle loi n’est pas sans répercussions sur la vie de jeunes homme déjà obligés de passer deux ans sous les drapeaux. Comme le rappelle d’une magnifique formule P. Boulanger, le service militaire est pour beaucoup « l’impôt du temps »1. Plus tard, à partir d’août 1914, viendra celui, encore plus exorbitant, du sang… Néanmoins, on comprend dès lors pourquoi, au cours de l’année 1913, la question du service militaire est sur toutes les langues. Partout dans les bistrots on débat de ce projet de loi. Au Pré-Saint-Gervais, en région parisienne, Jaurès réunit le 16 mars 1913 des dizaines de milliers d’opposants aux « trois ans » (70 000 personnes selon les estimations de Clemenceau, 150 000 si l’on se réfère aux chiffres avancés dans l’Humanité). A la même époque, des affrontements ont lieu à Rennes entre pro et antitroisannistes, quelques jours seulement avant le début du congrès de la SFIO qui se déroule à Brest2.

L'Ouest-Eclair du 8 août 1913. Archives Ouest-France.

Finalement, la loi est votée le 7 août 1913.  L’édition rennaise de L’Ouest-Eclair datée du lendemain nous parait rétrospectivement particulièrement symptomatique du climat de ce temps. Le vote de la « loi militaire » est annoncé en page 2. L’article, résolument sobre, détaille les débats de la veille. Le quotidien rennais ne se démarque d’ailleurs guère de son homologue finistérien, la Dépêche de Brest se limitant elle aussi à un récit du vote de la veille, mais en première page.

A en croire le traitement qui est fait par ces deux quotidiens bretons du vote de la loi de trois ans, rien n’annonce la guerre. Pourtant, rétrospectivement, lorsque l’on connait l’enchaînement dramatique des événements qui conduit au drame, celle-ci parait déjà omniprésente. Bien sûr, lorsque Marcel Brindejonc des Moulinais évoque le vol qu’il doit prochainement effectuer à Dinard, il est essentiellement question de sport et aucunement de guerre. 

L’As ne se distingue pas encore derrière le pilote émérite. Mais d’autres éléments interpellent. C’est d’abord un article qui détaille la force de la flotte allemande, élément essentiel à l’époque où la puissance d’un pays se mesure aussi en nombre de cuirassés. Surtout, on ne peut que remarquer l’article qui, évoquant la paix dans les Balkans, insiste sur l’instabilité chronique de cette région.

Bien entendu, l’histoire ne s’écrit pas à l’avance et une telle analyse rétrospective n’a pas grande valeur. Mais il n’en demeure pas moins que la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale ne saurait être tout à fait complète sans celle du vote, un an auparavant, de la loi des trois ans. Pour cela, nous ne pouvons que vous conseiller un stimulant petit essai publié par la fondation Jean Jaurès et accessible en ligne gratuitement. Signée par Elisa Marcobelli – doctorante à l’Institut historique allemand – ce texte examine les rapports entre les socialistes et l’antimilitarisme : une réflexion que nous aurons l’occasion de prolonger dans les mois qui viennent sur En Envor

Erwan LE GALL

1 BOULANGER, Philippe, La France devant la conscription, géographie historique d’une institution républicaine, 1914-1922, Paris, Economica, 2001, p. 165.  

2 Sur cette question, nous renverrons aux billets de Benoit Kermoal sur son excellent carnet de recherches Enklask.